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Europe identité
27 décembre 2004

Histoire de l'Europe

L'offensive chrétienne contre les Scandinaves


 

Les premières missions

L'essentiel de nos sources pour l'étude de la christianisation de la Scandinavie a été rédigé en latin par des scribes chrétiens. Ils nous donnent un point de vue extérieur à la société décrite. Ces récits sont donc peu fiables et peu objectifs. Nous pouvons comparer avec les textes de tacite (Germania, rédigé vers ± 43) qui nous présentaient une interpretatio romana de la Germanie. Tacite et les autres auteurs romains identifiaient et comparaient les dieux du Nord avec les dieux gréco-romains. De ce fait, ils les acceptaient vraiment comme des dieux. Les écrivains chrétiens, en revanche, donnaient une interpretatio christiana et qualifiaient les dieux nordiques de puissances mauvaises (unholde), de démons (daemon), de diables (diabolus), etc. Ils les dénigraient systématiquement pour mieux glorifier leur propre dieu unique. Alors que les Romains manifestaient une relative indifférence puisque la notion divine des Germains n'était pas en contradiction avec la leur, les chrétiens, au contraire, affichaient une profonde hostilité, un mépris agressif et un dogmatisme intolérant pour toutes les conceptions différentes de la leur.

De plus, le prosélytisme évangélique a, au cours de l'histoire, accumulé tant de victoires que ses apologistes en déduisent une prétendue supériorité intrinsèque de la doctrine chrétienne. la réalité est pourtant tout autre: le christianisme a effectivement démontré l'efficacité de ses techniques de conversion, mais cela n'a jamais prouvé la suprématie réelle de son dogme. Par ailleurs, les campagnes d'évangélisation ont parfois connu des revers cuisants qu'il est bon de souligner. Ce fut notamment la cas des peuples scandinaves qui résistèrent longtemps à la christianisation.

La première tentative missionnaire fut le fait du moine anglais Willibord, sacré archevêque par le pape, qui se rendit au danemark vers l'an 700 pour y prêcher. Il n'y obtint aucun succès: ni le roi ni le peuple ne répondirent à son appel. L'échec était tellement patent qu'en 789, Alcuin écrivait à un abbé de Saxe pour lui demander s'il était permis d'espérer la conversion des Danois. Une tentative limitée eut pourtant bien lieu vers 804, quand Liudger évangélisa, avec la permission de Charlemagne, l'Ile de Heligoland.

 

La "Vita Anskarii"

Notre principale source pour les missions suivantes est la Vita Anskarii, d'une valeur historique médiocre mais fort instructive sur certaines coutumes scandinaves; par exemple, la pratique du tirage au sort, les débats du Thing (l'assemblée populaire), les réactions païennes, le culte du roi, etc. En 823, Ebbon, archevêque de Reims d'origine allemande, partit en délégation au Danemark. Il y prêcha pendant un été, puis s'en revint apparemment déçu. A ce moment, des querelles dynastiques au Danemark fournirent à Louis le Pieux (Hludowic) l'occasion d'intervenir dans leurs affaires et d'envisager la conversion du pays. Tout d'abord, en 826, il parvint à faire baptiser solenellement Harald Klak, un prince danois en exil. Ensuite, il chargea le moine Ansgar d'accompagner Harald dans son retour au pays. Pour entreprendre sa campagne d'évangélisation, Ansgar entassa dans le navire des objets de culte d'une grande magnificense et de nombreux cadeaux destinés aux futurs convertis. Arrivé au Danemark, il acheta un groupe d'enfants afin de les élever en vue du service divin. Attaché à la personne de Harald, il partagea son impopularité et son infortune. Tous ses efforts pour fonder une église furent vains et son échec fut aussi complet que ceux de ses prédécesseurs.

 

La première église de Scandinavie

En août 829, une nouvelle occasion se présenta. Une ambassade de Suède à Worms fit part à l'empereur que les gens de leur nation désiraient recevoir le baptême. Aussitôt Ansgar se joignit à une troupe de marchands qui se préparaient à partir vers le Nord. Au cours du voyage sur mer, des vikings saisirent les cadeaux destinés à l'avancement de la mission. L'expédition continua alors à pied pendant de longues journées vers le port de Birka, aujourd'hui Björkö (= "île aux bouleaux"), situé sur le Lac Mälar. Le roi Björn accorda aux missionnaires l'autorisation de s'établir, de prêcher, de convertir et de construire une église sur un terrain privé, la première église de Scandinavie. La mission rencontra dans cette ville des prisonniers chrétiens parmi lesquels elle recruta ses premiers fidèles et baptisa quelques marchands. Après dix-huit mois de labeur, Ansgar retourna auprès de Louis le Pieux. Fort content des résultats obtenus, l'empereur et le pape choisirent Ansgar comme premier évêque de Hammaburg (Hambourg).

Un parent de l'archevêque Ebbon, un nommé Gauzbert, fut choisi pour continuer l'évangélisation de Birka. Soutenu moralement et matériellement par l'Eglise et l'empereur, il prêcha, fit construire une seconde église et poursuivit son ¦uvre apostolique pendant de nombreuses années. Soudain, en 845, une émeute populaire éclata contre les chrétiens. La demeure de Gauzbert fut pillée, son neveu fut tué, les chrétiens furent couverts d'opprobe puis expulsés. Pendant sept ans, la Suède ne connut plus la présence d'un ministère sacerdotal.

Herigar (Hergeir), préfet de Birka, était l'un des plus anciens convertis. Il ne dissimulait pas son attachement au Christ et continuait à prêcher malgré la réprobation et les insultes de ses concitoyens. Les Suédois lui rétorquaient en louant leurs dieux auxquels ils étaient redevables de leur prospérité et reprochaient à Heirgar d'avoir follement renoncé aux croyances de ses ancêtres et de s'être volontairement séparé de la communauté.

Quand Herigar endura une pénible souffrance aux jambes, beaucoup vinrent lui rendre visite et lui conseillèrent de sacrifier aux dieux pour retrouver la santé. D'autres l'insultaient parce qu'il n'avait plus de dieux et lui disaient que c'était pour cette raison qu'il n'était pas bien portant. Il ressort de cet épisode que chez les Suédois le culte était uti-litaire et qu'ils voyaient dans la conversion au christianisme la rupture de la solidarité du peuple.

 

La mission d'Ansgar au Danemark

Suivant une des tactiques évangéliques, les mis-sionnaires s'efforçaient de gagner le peuple en convertissant tout d'abord le souverain. C'est avec cette intention qu'Ansgar partit en délégation en 848 auprès du roi Haarek (Horic) de Danemark. Il lui parla du Christ, s'efforça de gagner sa sympa-thie en lui offrant des cadeaux, en lui rendant des services, bref, en essayant de se rendre indispen-sable. Il proposa le baptême au roi mais malgré tous ses efforts, il ne l'obtint pas. Par contre, il ar-racha l'autorisation de bâtir une église à Schles-wig (Sliaswich). Les premiers convertis, après les esclaves, furent des marchands habitués à côtoyer les chrétiens dans le cadre de leurs activités.

En 852, année où mourut Herigar, Ansgar partit pour Birka, accompagné de prêtres et fort de lettres de recommandation de Louis le Germa-nique (Hludowic) et d'un passeport du roi de Da-nemark. Or, à ce moment-là, le roi et le peuple de Suède étaient extrêmement toublés. En effet, peu de temps auparavant, quelqu'un avait déclaré avoir pris part à un conseil des dieux du pays (in conventu deorum qui ipsam terram possidere) et avait été chargé par eux d'une mission auprès du roi et du peuple. "Nous vous avons toujours favorisés, avaient dit les dieux, nous vous avons donné l'abondance, la paix et la prospérité. de votre côté, vous nous avez offert les sacrifices et les hommages auxquels nous avions droit. Or voici que vous vous montrez plus négligents dans notre ser-vice. Mais vous nous déplaisez encore davantage en introduisant parmi nous un dieu étranger que vous nous préférez (alienum deum super nos in-troductis). Le culte de l'autre dieu qui s'oppose à nous ne peut être accepté. Si nous ne vous suffisons plus et si vous désirez un dieu en plus, nous admettons unanimement dans notre collège Eric qui fut jadis votre roi". Les Suédois, honorés de l'attention de leurs protecteurs célestes, élevèrent un temple à Eric et lui offrirent des sacrifices.

Donc quand les chrétiens de Birka apprirent l'arrivée d'Anschaire (Ansgar), leur épouvante se donna libre cours. Son séjour en Suède ne pouvait actuellement servir à rien. Le missionnaire serait bien heureux, s'il pouvait, au moyen des présents apportés par lui, acheter du roi la liberté de s'en aller du pays, la vie sauve.

 

Ansgar invite Olaf

Mais Ansgar adressa directement au roi Olaf une invitation à sa table. Olaf avait été mis au courant de l'arrivée de l'archevêque par un de ses courtisans et par des chrétiens. Il accepta l'invitation. Le roi se fit lire les lettres de Louis le Germa-nique. Il écouta le message de l'ambassadeur du roi Horic, dont voici la teneur: "Cet homme m'est bien connu; jamais je n'en ai rencontré de plus ex-cellent; en aucun autre, je n'ai placé autant de confiance. Je l'ai donc autorisé à régler dans mon royaume toutes les affaires de la religion chré-tienne. Je vous prie de lui accorder une semblable latitude dans le vôtre, car il ne veut rien accom-plir que de bien et de juste". Les présents remis à Olaf lui plurent beaucoup (citations extraites de la Vita Anskarii  traduite par Edouard de Moreau sous le titre de "Saint Anschaire", Louvain, 1930, p.100).

Mais Olaf ne disposait pas du même pouvoir que Horic de Danemark. Car c'était la coutume chez les Suédois que les affaires publiques dépendent plus de la volonté du peuple que de la puissance du roi. "Je vous accorderais volontiers, dit-il à l'archevêque, la liberté que vous souhaitez. Mais ce n'est pas un ordre royal qui, jadis, a chassé vos clercs, c'est une émeute populaire. Aussi ne puis-je consentir à votre mission avant d'avoir consulté les dieux et mon peuple. Au plaid prochain, je par-lerai en votre faveur. Si mon avis triomphe, vous serez libre pour agir. Si le contraire se produit, je vous le ferai savoir aussitôt".

Le roi avait parlé d'un "plaid". En réalité, il dut en tenir deux, l'un à Birka; le second dans une autre partie du royaume. Le roi réunit d'abord ses conseillers. Ceux-ci, comme dans toutes les graves résolutions à prendre, décidèrent de demander l'avis des dieux. Etant sortis dans un champ, ils consultèrent le sort. Le sort se montra favorable à l'établissement du christianisme. Quelques jours après, avait lieu l'assemblée populaire à Birka. Conformément à la coutume, le roi fit faire une proclamation par un héraut. Elle portait sur l'ob-jet de la mission d'Ansgar. Alors les assistants commencèrent à émettre leur avis. Ils étaient loin d'être d'accord et, dans le tumulte, on avait de la peine à s'entendre. L'assemblée se trouvait sans doute encore sous l'impression du message des dieux. Alors un vieillard se leva. Il rappela que le dieu des chrétiens avait déjà témoigné sa bienveil-lance à plusieurs d'entre eux, soit dans des expé-ditions maritimes soit à d'autres occasions. "N'ex-pulsons pas les serviteurs de celui qui nous a se-courus dans tant d'occasions". Gagné par ces pa-roles du vieillard, le peuple accorda aux prêtres chrétiens la liberté de prêcher et d'administrer les sacrements. La seconde consultation populaire se termina de la même façon. Mais, cette fois, Olaf se chargea lui-même de notifier par décret aux chrétiens la volonté populaire.

Ainsi, il était désormais permis de bâtir des églises en Suède; les prêtres y avaient la faculté d'exercer librement leur ministère; les habitants pouvaient à leur gré adhérer au christianisme. Le prêtre Erimbert fut aussitôt présenté au roi et installé dans ses fonctions. Olaf lui donna un terrain pour y bâtir un oratoire, le troisième à Birka. Sa mission achevée, Ansgar reprit le chemin de Hambourg.

Le revirement

En 854, le roi Haarek (Horic) de Danemark et son neveu Gudurm engagèrent un combat dans lequel ils périrent, ainsi que de nombreux notables, dont des amis de l'archevêque. Quelques païens profi-tèrent adroitement de cette circonstance et s'entendirent pour circonvenir le jeune roi Haarek (Horic). Si tant de maux venaient de s'abattre sur le pays, lui disaient-ils, c'était parce qu'on avait délaissé les dieux nationaux et admis un dieu étranger. Le gouverneur de la ville de Schleswig se montrait le plus acharné. Un beau jour, il fit fermer l'église du lieu, la seule du Danemark, et prohiba le christianisme. Le prêtre dut prendre la fuite.

Informé de ce revirement, Ansgar jugea que sa présence était indispensable. Après une entrevue minutieusement préparée, il obtint du roi le renouvellement des anciennes autorisations. Haa-rek le jeune consentit, malgré l'hostilité des païens, à ce qu'on plaçât une cloche dans l'église. Avec sa permission, un second centre chrétien s'établit à Ribe, sur la côte ouest du Jutland. Le roi donna un terrain pour la construction de l'église et consentit à ce qu'un prêtre fût nommé pour la desservir régulièrement. Par la suite, le pape déploya sa subtilité épistolaire pour gagner Haarek au christianisme. Mais malgré ses prières et ses exhortations, le roi n'accepta point le baptême.

Pendant ce temps, de 852 à 865, plusieurs mis-sionnaires se succédèrent à Birka mais récoltèrent plus de déboires que de succès. Le cercle des fi-dèles ne s'élargit pas. Après la mort d'Ansgar en 865, ses successeurs conservèrent à grand prix l'acquis. Ensuite, ils s'intéressèrent de moins en moins à la mission nordique, si bien que cin-quante ans après la mort de son promoteur, il ne subsistait presque rien de ces communautés chré-tiennes à Birka, à Schleswig et à Ribe. La construction de cinq églises (sans doute de simples oratoires), dont trois à Birka, constituait un maigre résultat. Toutefois, le déclin qui suivit fut encore plus caractéristique. Le christianisme s'y étiola dans l'indifférence générale. La tentative de christianiser la Scandinavie se clôturait par un échec.


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